Qu'est-ce que l'écoconception ?

L'écoconception web est définie comme l'intégration de la réduction des impacts environnementaux dès la phase de conception d'un service numérique avec une vision globale sur l'ensemble du cycle de vie (source : Pôle éco-conception). Si on se restreint à cette définition, il s'agit d'une solution technique tout comme la performance web.

Nous préférons sortir de ce cadre trop limité, “technocentré” en ce qu’il privilégie le progrès technique au détriment du progrès social. Il est nécessaire de questionner nos besoins afin de ne développer que les services utiles. Car il n’y a pas plus grande économie de ressource qu’en… ne développant pas un service ou un objet inutile. La systématisation de la numérisation des services est aussi à questionner. L'écoconception, c'est donc comprendre le besoin réel pour y répondre en s'extrayant du biais du "tout numérique" et de la complexification superflue.
L'écoconception doit porter des valeurs éthiques (accessibilité web, vie privée, lutte contre l'exclusion numérique, etc.) et être au service d'actrices et d’acteurs qui luttent pour des enjeux socio-environnementaux. Sans cet aspect, elle n'est qu'une solution technique qui peut servir à faire du greenwashing

Une capture d'écran du site lowtechmagazine.com
Le site du low-tech Magazine peut être hors-ligne lorsqu'il n'y pas de soleil, car il est auto-hébergé et branché sur un panneau solaire.

Numérique et limites planétaires

Pour comprendre la nécessité de ces engagements, il est nécessaire de rappeler l'état du secteur numérique, et particulièrement la pollution numérique :

Il faut bien comprendre que c'est le matériel qui concentre la majorité des pollutions. Mais la tendance actuelle de la conception numérique est à la complexification et à la création artificielle de nouveaux besoins, entraînant la nécessité de fabriquer des appareils en plus grand nombre et de plus en plus sophistiqués. Conception web et conception matérielle s'entraînent mutuellement vers une course folle dont le résultat est une surproduction et une surpollution. Le numérique, contrairement à d'autres secteurs, n'a pas pris conscience de son impact négatif sur les limites planétaires.

Alors pourquoi tant d'opposition à la décroissance dans le numérique sachant que la croissance constante du numérique engendre une plus grande consommation de matériaux et une demande d’artificialisation des sols toujours plus importante (Gauthier Roussilhe, Explications sur l’empreinte environnementale du secteur numérique, décembre 2021) ?

Nous pourrions continuer à enrichir ce sujet de chiffres et de sources, mais ces données restent un débat ouvert avec de grandes disparités dans les chiffres. La tendance à la croissance, en revanche, est bien confirmée par tous les acteurs.

L’exemple du site DÉCROISSANCE LE FESTIVAL

Par honnêteté intellectuelle, il est nécessaire de rappeler que la consultation d'un site web représente une pollution marginale dans le numérique. Comme nous venons de le voir, l'essentiel de la pollution provient du matériel (Empreinte environnementale du numérique mondial, Green-IT, 2019). Pourtant l'écoconception participe, si elle est réalisée dans un cadre éthique, à une décroissance du numérique : arrêt de l’artificialisation des sols par la réduction du besoin d'espace de stockage, moins d'énergie consommée par la réduction du besoin de puissance de calcul, moins de production matérielle par la simplification, plutôt que la complexification technique... Cette démarche s’inscrit contre la tendance actuelle à l’obsolescence programmée, d'où la décision d'écoconcevoir le site du festival.

L'aspect important du projet est avant tout la co-construction du site. Ce sont les besoins humains qui déterminent les besoins techniques. Nous avons réalisé plusieurs ateliers pour comprendre les visiteuses et visiteurs potentiels afin de prévoir les contenus utiles, définir une arborescence cohérente et planifier le contenu. L'humain et la technique se sont mutuellement enrichis au cours du processus : des contraintes techniques ont amené des idées à évoluer et des besoins humains ont permis d'imaginer d'autres solutions techniques profitables à l'écoconception.

une photo qui représente l'arborescence du site après les ateliers avec l'équipe
Le plan du site après la réalisation des ateliers avec l'équipe du festival

Le résultat est un site élégant, bien qu’épuré de superflu. Son poids, et donc la consommation en ressource pour le consulter, est nettement inférieur à la moyenne du web :

Tandis que les moyennes actuelles du web en 2022 se situent autour de :

Pour consulter le site sur un téléphone 3G ancien avec une connexion lente (400 Kbp/s, alors qu'une connexion 4G représente en moyenne 10000 Kbp/s), il vous faut 2.7 secondes. Par comparaison, il faudrait 8.1 secondes pour avoir le premier contenu visible du site microsoft.com.

graphique qui représente le temps de chargement de la page du site du festival sur le site webpagetest.org
graphique qui représente le temps de chargement de la page du site microsoft.com sur le site webpagetest.org
En haut le temps de chargement du festival, en bas le temps de chargement du site de Microsoft (microsoft.com).

Nous prenons en compte cette donnée, car un des objectifs principal de l’éco-conception est d’éviter l’obsolescence du matériel qui peut se produire lorsqu'un appareil ancien peine à consulter un site. Ce résultat permet de réduire le sentiment d'obsolescence et d'exclusion numérique. Une visiteuse ou un visiteur pourra ainsi aisément consulter le site du festival avec un appareil ancien et via une mauvaise connexion.

Ce site démontre qu'il est possible d’avoir un résultat identique (par exemple : consulter un programme en ligne) de manière beaucoup plus efficiente sans pour autant proposer un design austère. De plus, l'écoconception facilite l'accessibilité tout en respectant la vie privée des utilisatrices et utilisateurs. Avez-vous vu une bannière pour accepter les cookies ? Elle n'est pas nécessaire, nous ne collectons pas de données.

La démarche appliquée au site (détails techniques)

La structure du site est organisée autour d’un objectif de communication fonctionnel :

  • Une page par besoin.
  • Un traitement de l’information succinct, rapide à consulter.
  • Une utilisation limitée des images.

Le style graphique du site a été pensé pour contribuer à l’accessibilité et à la réduction du poids des pages :

  • Utilisation d’illustrations matricielle dont le nombre de couleurs a été réduit (60 couleurs au lieu de 256).
  • Utilisation d'une seule typographie personnalisée combinée avec une fonte système (police de caractère déjà installée sur l’ordinateur)
  • Des couleurs aux contrastes suffisants pour garantir la simplicité de lecture, même si une évolution de la charte pourrait améliorer ce point.
  • Aucune requête externe au site, aucun lien avec les GAFAM.
  • Aucun tracking imposé à l’utilisateur.
  • Une structure modulaire pour faciliter la création de nouveaux contenus et augmenter la durée de vie du site.
  • Utilisation du cache pour générer une version statique du site.

Ce qui pourrait encore être optimisé :

  • Utilisation d'illustrations SVG au lieu matricielle pour réduire le nombre de requêtes. Ce format d'image peut permettre d'intégrer directement une image dans le code, ce qui évite de charger un fichier.
  • Utilisation d’un hébergeur local et associatif qui repose idéalement sur des énergies renouvelables.

Remarques sur les données

Différents outils permettent de calculer les performances environnementales du site, mais des écarts peuvent être constatés, car il existe de nombreuses configurations pour consulter le site. Les navigateurs n'ont pas forcément le même comportement, ils supportent différentes fonctionnalités. L'appareil, la qualité du réseau internet et électrique, la distance du serveur sont autant de paramètres qui influencent les résultats.

La mesure reste pertinente en comparaison des moyennes globales du web et pour comprendre les points positifs et les améliorations à apporter au site. Ce sont surtout les usages et les retours des utilisateurs qui peuvent nous renseigner sur la pertinence des choix dans la conception du site.

Pour évaluer les performances, nous avons utilisé une combinaison d’outils :

  • Une analyse des données et des poids des pages via l’outil de développement Google Chrome/Firefox, Web.dev et Yellow lab.

Comment aller plus loin ?

Le projet n'est qu'une première version pour la première édition du festival. Des contraintes de temps en raison d'une préparation au fur et à mesure sur quelques mois font que des éléments pourraient être mieux préparés et évoluer vers plus de sobriété à l’avenir. L'écoconception se prépare et se réalise sur un temps long, l'objectif étant de faire durer le site le plus longtemps possible.

Le but est de conserver la structure pour les éditions futures afin d’éviter un nouveau développement de zéro du site web. C’est pourquoi le site fonctionne en blocs modulaires qui peuvent être réutilisés pour créer des nouveaux contenus. Il sera plus simple et économique (financièrement et énergétiquement) de créer de nouveaux blocs que de créer un nouveau site.

Il existe aussi des améliorations possibles hors du site web. L'organisation en interne pourrait être repensée pour utiliser uniquement des logiciels libres et souverains dans le but de développer l’indépendance du festival. C’est un objectif qui s’inscrit dans un temps long avec un accompagnement plus humain que technique.

D'autres expérimentations seraient intéressantes à développer : un mode nuit ou contraste augmenté, mettre le site hors-ligne pendant la nuit, avoir une version hors-ligne, auto-hébergement sur le site du festival, etc. Ces expérimentations permettraient d’utiliser le site comme une démonstration du champ des possibles de l’éco-conception.

capture d'écran d'un navigateur dans un terminal qui affiche uniquement les données textes.
Les données brutes du site, c'est-à-dire le texte et les liens
Une photo d'un micro-ordinateur raspberry pi posé sur un ordinateur portable. Le raspbeery pi est nettement plus petit.
Il serait tout à fait possible de lire les données avec ce micro-ordinateur posé sur un ordinateur portable (source Louis Reed Unsplash)

Avec une vision plus globale, ancrée dans l'éducation populaire, il est possible d'imaginer
la consommation de contenu de manière beaucoup plus frugale. Nous pourrions apprendre aux usagères et usagers à consulter le site hors des navigateurs web (logiciels qui sont extrêmement complexes) et à consulter uniquement des données brutes. Le poids et le temps de chargement sont incomparables avec une version web.

Élitiste ? Incompréhensible ? Tout dépend de notre culture numérique. Tout comme certaines et certains ont la chance d'apprendre à nager jeune, il est tout à fait possible d'apprendre à consulter le web de cette manière. Une façon sans tracking, rapide et épurée. Il s'agit tout simplement d'un autre imaginaire numérique. Ce n'est pas le seul possible, mais celui-ci est un exemple d'une solution sobre et libre.

C'est avant tout le but d'un site écoconçu : ouvrir des possibles vers des alternatives au numérique de la toute vitesse dans une course à la croissance mortifère.

Un autre imaginaire où les écrans lumineux avec leurs couleurs criardes sont remplacés par du contenu intéressant qui ne nous emprisonne pas constamment, mais qui nous enrichit, à la manière d’un bon livre.

Par Noé Rozenblat et Derek Salmon (Pikselkraft)